Mouvement interrompu et colère : questions, réponses avec André

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Suite à l'article "mouvement interrompu et colère",  voici la retranscription d'échanges des échanges entre André (en rouge) et Christiane Perreau. (en noir), par ordre chronologique.

1 - Témoignage et question d’André

Je me permets de vous répondre car votre analyse du mouvement interrompu qui engendre de la colère me parle beaucoup. Et je trouve qu'on pourrait aussi l'associer à la bouderie.
 
On connaît tous le cas de l'enfant boudeur qui fronce le sourcil, remue  la tête, parce qu'il n'est pas content, refuse énergiquement tout ce qu'on lui propose. Cela peut faire sourire.
 
Mais quand il s'agit d'un adulte de 50ans qui cultive encore ce système de défense au point de s'enfermer plusieurs jours dans son bunker mental, plein de haines et de ressentiment contre le monde entier, y compris ses proches. A chaque fois une plongée infernale dans les bas fonds d'une rage intérieure démesurée et inextinguible.jusqu'à l'intoxication...
 
Souvent derrière cette attitude, il y a de la frustration, de la rage, de la colère, de la haine, autant de sentiments qui s'amplifient dans le vase clos de cette prison intérieure. Mais n'est-ce  pas aussi la réaction d'un  enfant en colère contre...ses parents, un mauvais traitement, une injustice, voire une incapacité à s'exprimer ...? N'est-ce pas aussi une réponse à un manque d'attention, d'amour...?
 
Qu'en pensez-vous? j'aimerais connaître votre point de vue là-dessus.


2 - Réponse de Christiane

Je vous remercie d’abord de votre témoignage, de votre réflexion très pertinente et de vos appréciations.
La bouderie est une expression de colère, elle est signe de contrariété, d’intentions frustrées. Les contrariétés sont dues à des pertes, d’un parent, d’une relation, de quelque chose ou de quelqu’un qui apportait du plaisir, qui satisfaisait un besoin, un désir.

L’adulte qui fonctionne encore avec ce comportement n’est plus un adulte ; il exprime des états d’être d’un petit enfant bloqué dans certains traumatismes dont le mouvement interrompu. Cet adulte a été réactivé par des circonstances de son temps présent (une contrariété avec le compagnon, souvent  quelqu’un dont il est très proche et qui lui est cher) et qui lui font perdre toute relativité, toute objectivité au point d’avoir des comportements inappropriés voire aberrés pour une personne de 50 ans. Il ne peut plus se comporter en adulte. Et il dirige sa colère contre son compagnon, son enfant, sa secrétaire mais ils ne sont pas en cause. Ce ne sont pas eux les objets de sa colère. L’origine de la colère se situe dans le passé

La personne est alors déterminée par les traumatismes non conscientisés, non intégrés et elle perd son pouvoir de décision, d’action ; elle est “agie” par les blessures non comprises. Elle est en réaction, comme désintégrée. Elle ne peut pas faire autrement à ce moment-là. Ce n’est plus un adulte mais un petit enfant de 3 ans qui crie son désespoir de ne pas être compris et accueilli tel qu’il est.

L’enfermement d’une personne sur elle-même est le signe d’une grande souffrance qui n’a pu être résolue. Nous sommes des êtres de relation et c’est la relation qui construit le bébé, le fait exister. S’il ne peut entrer en relation, c’est que des liens n’ont pas été construits ou ont été rompus (c’est le cas dans le mouvement interrompu, c’est le cas lorsqu’un bébé n’est pas désiré parce que la mère avait un désir de garçon et non de fille ou pas de désir d’enfant ou la maman était trop fragile psychiquement, etc.).

Alors l’enfant ressent toutes ces émotions de frustration, de rage, de haine et d’impuissance en réaction à des manques d’attention car l’attention portée à un enfant tout comme la compréhension sont de l’amour. Aimer c’est comprendre. L’enfant se nourrit de l’attention, de la présence qui lui sont données. Ce sont des besoins fondamentaux à sa survie et son équilibre physique, émotionnel, mental.

Sauf qu’un parent pris dans des intrications transgénérationnelles n’a pas ou peu d’attention disponible pour son conjoint et ses enfants. Il ne peut pas. Il est identifié à ses pensées, ses traumatismes, ses émotions sans en être réellement conscient. Il devient la colère par exemple mais sans pour autant la décharger réellement. Il est pris dans le passé par des liens invisibles qui l’emprisonnent. Il est présent physiquement mais absent affectivement, psychiquement. Il est souvent vide, “ailleurs” et ne peut satisfaire les besoins d’amour de l’ enfant qui, du coup, ne peut être lui-même. Ce qui le met aussi en colère.

Or, un enfant frustré et furieux ne peut pas montrer ses sentiments par peur d’être encore rejeté ou raillé ou invalidé par des réflexions du genre : “mais ce n’est rien, fais pas cette tête-là, regarde moi pas comme çà”. L’enfant est perdant sur toute la ligne et il va se replier un peu plus sur lui-même (bouder), contrôlant ce qu’il ressent, exprime et décidant qu’il vaut mieux se débrouiller seul voire, que cela ne vaut pas la peine d’exister. Certaines maladies graves comme le cancer ont de tels programmes dans leurs causes.

Le parent qui devrait être le référent est perdu et ne peut être un soutien pour son enfant qui devient alors le “pourvoyeur” d’amour, assumant des responsabilités qui ne sont pas les siennes ; il y a inversion des rôles ; et si certains enfants le font avec amour et trouvent cela normal (en constellations, nous voyons certaines personnes qui ont du mal à restituer à leurs parents leur rôle de parents), d’autres en éprouvent de la colère voire de la rage, de la haine. C’est de l’amour inversé ou refroidi.
Nous appelons ce phénomène une parentification. Le client aura besoin de dire à ses parents “je vous déteste” mais, fondamentalement, il aura besoin de dire : “aimes moi ou s’il te plaît prends moi dans tes bras”. Là est le besoin primaire frustré qui origine la colère et la rage. Et à partir de là, la personne peut s'autoriser à ressentir les manques d'amour, d'attention.

La plupart du temps, le parent a manqué aussi  d’attention de son propre parent. Il sera alors important de suivre la piste du besoin manquant, de l’amour “refroidi”  ou dévié dans la lignée. C’est là que se trouve l’origine du mouvement interrompu et c’est là qu’il doit être restauré. Et c’est cette colère-là qui doit être ressentie ainsi que le besoin inassouvi et c’est cela qui peut soulager.
Il sera nécessaire de restaurer les liens entre la grand mère et la mère par exemple, et ensuite entre l’enfant et sa propre mère.
Il sera nécessaire de remettre de l’ordre dans la lignée en clarifiant qui est qui et où est la place de chacun selon l’arrivée chronologique dans le système. Des phrases comme “toi tu es ma grand mère et moi je suis ta petite fille et maman, tu peux prendre du soutien chez ta mère, moi je suis ta petite, ton enfant et toi, tu es ma mère”  vont faciliter ce processus.
Quand les besoins premiers sont vécus, la colère disparaît. Et l’amour et la vie circulent à nouveau dans cette famille  dont le constellant peut se détacher tout en y trouvant un ancrage, une force.
Il retrouve le chemin de ses propres désirs dans le temps présent.



3 - Témoignage d’ André

A mon tour de vous remercier de m'avoir répondu aussi vite. Vos explications sont très claires et très justes. J'ai relevé le phénomène de
" déconscientisation" qui explique le décalage entre la réalité et la perception réactive du boudeur. C'est vrai que dans mon cas, c'est souvent en réaction à ..,ou contre...et insensiblement je bascule dans un autre monde, où je ne reconnais plus personne, tout entier à ma fixation "le monde me rejette, je rejette le monde" avec une rage d'autant plus décuplée qu'elle est impuissante si l'on se place du point de vue d'un enfant de 3/4 ans.
 
Un autre passage de votre texte a aussi retenu mon attention, celui où vous évoquez le phénomène de parentification. J'ai souvent eu dans mon enfance le sentiment de jouer un rôle trop grand pour moi, celui du rédempteur de la famille, le gentil petit garçon, le petit saint destiné au séminaire. Entre l'alcoolisme d'un père et la violence d'un frère aîné, j'étais l'exemple et le réconfort voire le défenseur de ma mère, ma tante, ma soeur. Avec le message inconscient de ne surtout pas ressembler à "ce méchant papa et méchant frère."....!
 
Bien sûr que je vous autorise à publier toute cette correspondance, surtout si cela peut servir à d'autres. Et par votre intermédiaire, j'aimerais bien aussi recevoir des témoignages sur la bouderie, cette  infernale distorsion du temps.
 
Merci pour votre accompagnement.



4 - Réponse de Christiane


Un adulte qui se trouve confronté à des comportements aberrés ou névrotiques de son parent, par exemple, ne sera pas en colère; il sait que les ressentis négatifs sont dus à des souffrances non gérées du passé ; il a conscience du processus et reste objectif.  Le décalage entre la réalité, ce qui est, et les perceptions de la personne vienne du fait qu’il s’agit de réactivité qui fait perdre le côté rationnel, objectif, conscient. Le boudeur, le jaloux, la haineuse, la contrariée sont perturbés par des traumatismes non solutionnés qui déforment la réalité. Il y a distorsion entre la chose réelle et ce qu’il en est perçu, interprété, pensé. Et c’est une forme d’inconscience ou de “déconscientisation” comme dit André.
La personne perd son pouvoir de discernement.
Arthur Janov  dans Le Cri Primal disait que  “l’objectivité est l’absence de sentiments inconscients qui poussent le sujet à détourner la réalité de sa souffrance pour l’orienter vers la satisfaction de ses besoins”.

Concernant la parentification, c’est cela, l’enfant se sent le grand, le responsable de Papa, Maman, de la fratrie et il peut même en éprouver une sorte d’orgueil, un sentiment de toute-puissance. Et cet enfant peut même devenir le défenseur de sa mère ce qui est une perversion car il risque de ne plus pouvoir reconnaître son Père en tant que père et le rejeter.
Et rejeter l’un de ses parents peut avoir des conséquences : cela lie à la personne rejetée, celui qui rejette se prive de toute l’énergie vitale venant de ce côté, et certains iront ensuite se faire payer cette exclusion en étant malades, par exemple. C’est une manière d’être loyal que d’expier.
Un enfant a besoin d’être loyal à ses 2 parents et s’il ne le peut pas d’une façon saine, il le fera d’une façon détournée : être alcoolique comme Papa par exemple que Maman critique et dénigre à cause de cela même !!!! Ou devenir boulimique ; en mangeant l’enfant est fidèle à Maman qui dit que tout ce qu’elle donne est bon et en vomissant, il est fidèle à Papa pour lui montre que ce que donne Maman n’est pas bon pour lui. Cela prend aussi des formes moins dramatiques, comme faire les mêmes études que Papa alors qu’un autre désir habite l’enfant.




Être quelqu’un d’autre que soi-même - c’est être mort.
Le cri primal – Arthur Janov












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